Si la procédure réglementaire avait été conforme à la loi, l’affaire de Mouhcine Fikri aurait dû se conclure par le paiement d’une amende et la distribution de sa marchandise aux orphelinats.
Mouhcine Fikri a enfreint la loi en achetant un poisson dont la pêche est interdite en cette période (l’espadon). Cette pratique, bien qu’illégale, est répandue dans le secteur. Selon les différents témoignages, et en se référant aux résultats de l’enquête préliminaire, il semble que la procédure légale de saisie et de destruction du poisson transporté par Mouhcine Fikri n’ait pas été respectée.
Activité illicite
Le cas de Mouhcine Fikri, grossiste en poissons, entre dans le cadre de la loi sur la pêche maritime. Il s’agit, plus précisément, du dahir portant loi n°1-73-255 du 27 Chaoual 1393 (23 novembre 1973) formant règlement sur la pêche maritime. D’après les éléments préliminaires de l’enquête menée par la BNPJ, Mouhcine Fikri avait acheté près de 500 kilogrammes d’espadon, auprès de pêcheurs du port d’Al Hoceima. Ce poisson est interdit de pêche durant la période allant du 1er octobre au 30 novembre de chaque année, en vertu de l’arrêté du ministre de l’Agriculture et de la pêche maritime. L’infraction à ce niveau est avérée pour Mouhcine Fikri, mais aussi pour les autres grossistes qui ont acheté ce poisson « au noir » au même titre que les pêcheurs qui ont bravé l’interdiction et ont procédé à des captures d’Espadon. À ce niveau, deux questions essentielles se posent. La première est de savoir comment les autorités compétentes n’ont pas relevé l’infraction commise par les pêcheurs. Le ministre de l’intérieur Hassad a d’ailleurs adressé une correspondance au ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid, pour ouvrir une enquête sur les opérations de pêche illégales dans la zone d’Al Hoceima.
La seconde question est relative à Mouhcine Fikri. Comment a-t-il réussi, comme le précise le communiqué du procureur général publié le 1er novembre, « à charger cette quantité à bord d’un véhicule de transport » et à quitter le port sans être inquiété ? « Il y a normalement plusieurs points de contrôle qui doivent s’assurer de la traçabilité de la marchandise avant qu’elle ne quitte le port », nous explique Mohamed Laamraoui, opérateur dans le secteur et président du forum de la pêche maritime du Parti authenticité et modernité (PAM).
Le camion transportant la marchandise achetée par Mouhsine Fikri n’a fait l’objet de contrôle qu’après sa sortie du port au niveau de l’avenue Tarik Ibn Ziad. L’interpellation en soi n’est pas contraire à la loi mais, selon notre interlocuteur, les autorités ne peuvent pas « inspecter le poisson n’importe où ». « Quand les autorités ont attesté que le transporteur ne disposait pas des documents nécessaires justifiant l’origine de la marchandise et donc sa traçabilité, elles devaient revenir au niveau du port, mettre le poisson saisi au frigo et convoquer la commission », explique Mohamed Laamraoui, qui précise que cette opération est monnaie courante dans le secteur.
Infractions et sanctions
Par ailleurs, la constatation de l’infraction doit se faire selon certaines règles précisées dans l’article 25 de la loi 14-08 relative au mareyage qui dispose que « toute constatation d’une infraction doit être immédiatement suivie de l’établissement d’un procès-verbal d’infraction dûment signé par l’agent verbalisateur et le ou les auteurs de ladite infraction. En cas de refus ou d’empêchement de signer du ou des auteurs de l’infraction, mention en est faite sur le procès-verbal. Une copie du procès-verbal est remise par l’agent verbalisateur au contrevenant ». Le président du forum de la pêche maritime insiste sur la nécessaire présence d’un huissier de justice qui doit constater l’infraction.
Les originaux des procès-verbaux sont transmis, sans délai, par les agents qui les ont dressés au délégué des pêches maritimes. Ce dernier procède, par la suite, « à l’instruction du dossier et à cet effet il peut faire toutes les vérifications utiles et entendre toute personne dont l’audition est nécessaire », est-il précisé au niveau de la loi relative au mareyage. Cette procédure n’a vraisemblablement pas été respectée le 28 octobre. Le parquet général a, d’ailleurs, estimé que le procès verbal relatif à la destruction de la marchandise de Fikri est un faux en écriture publique.
À la lecture du texte de loi relatif au mareyage, l’on s’aperçoit qu’il y a même un délai qui permet au contrevenant de négocier avec l’État. Ce délai ne peut « excéder huit (8) jours à compter de la réception par le délégué des pêches maritimes de l’original du procès-verbal relatif à la constatation de l’infraction». Le texte ajoute que « l’autorité gouvernementale chargée de la pêche maritime peut, sur requête du contrevenant, décider de transiger au nom de l’État moyennant le versement, par ce contrevenant, d’une amende forfaitaire de composition. Dans ce cas, le montant de l’amende de transaction dont ledit contrevenant est redevable doit lui être notifié, par tout moyen faisant preuve de la réception, dans le délai susmentionné ».
Que faire de la marchandise ?
Si l’infraction étant avérée vu que le poisson saisi en la possession de Mouhcine Fikri est interdit à la pêche, il n’y a, en revanche, rien dans les textes de loi qui indique qu’il y a urgence à détruire la marchandise saisie. Le président du forum de la pêche maritime explique qu’une fois l’infraction prouvée, la saisie de la marchandise, quand elle est encore propre à la consommation, donne lieu à deux possibilités : « La marchandise saisie est vendue aux enchères et le montant va au trésor public ou alors elle est donnée gracieusement aux orphelinats et écoles publiques ». En revanche, « si le vétérinaire décide que le poisson n’est pas comestible, il doit être enterré et recouvert de chaux et non jeté dans un camion-benne », conclut-il. Dans le cas de Mouhcine Fikri, le vétérinaire a estimé que le poisson est « impropre à la consommation » et un camion-benne a été réquisitionné pour sa destruction.